Il faut emprunter, dans le hameau de Servolex, le chemin du Comte Marin et dans un virage vous découvrirez une belle grille en fer forgé permettant d’accéder à la propriété. De là, le bâtiment n’est pratiquement pas visible. Voilà comment Alphonse de Lamartine décrivait en 1871 son environnement :
« La maison est située sur le flanc septentrional de la vallée qui court, à travers des prairies et des bocages, de Chambéry au lac du Bourget. La haute muraille noire du Mont du Chat étend et gonfle ses fondements jusque dans cette vallée ; ses ruisseaux, ses cascades, ses longues ombres, s’y versent dans le torrent large et rocailleux de la Laisse. […] Au-delà se relève un plateau verdoyant et boisé, sur lequel blanchissent les tourelles du manoir de Servolex, qui appartient aujourd’hui à mes neveux et qui appartenait alors aux neveux des de Maistre. »
Remontons le temps pour mieux connaître l’histoire de cette demeure si chère à Lamartine.
« Cervolay » a toujours offert un site privilégié et ensoleillé car situé sur une butte il émergeait des marécages et était au carrefour de plusieurs routes. Habité dès le XIe siècle, ce petit village, enclavé au cœur de la Motte-Montfort, jouit de son autonomie jusqu’au 15 août 1794, date à laquelle il est rattaché à la Motte-Montfort.
Au début du XVIIe siècle, deux familles bourgeoises, les Vissot et les Perrier se disputent les terres dans la paroisse de Cervolay si bien qu’à la fin du XVIIIe siècle elles possédaient la plus grande partie de la commune !
Le château apparaît, dès 1600, dans l’histoire locale, son propriétaire Pantaléon Vissod est conseiller d’état et procureur général. La famille est anoblie en 1614.
Le 25 novembre 1673, l’honorable Dame Meynier, veuve du sieur Vissot, fonde dans son habitation de Servolex ( le château ) une chapelle domestique. A partir du XVIIe siècle il était de bon ton chez les familles nobles ou riches, d’avoir près de leur maison un oratoire.
En 1730, c’est Thomas Vissod, avocat et bourgeois, qui l’habite. Dans un relevé de la tabelle de Servolex établi lors de la confection de la mappe sarde en 1731, on découvre quelles sont les propriétés de Vissod Thomas et ses frères, comprenant le château, ses dépendances et bien d’autres prés, champs, vignes…
Lors de la Révolution, la famille Vissot, de noblesse récente, est déclarée suspecte. Ayant eu soin d’exiger du Conseil un certificat de civisme, elle n’est pas inquiétée.
Après la Révolution, la famille de Vignet acquiert la propriété et le castel des Vissot. Elle y vivra de 1818 à 1882. Cette famille originaire du Chablais figure dans les registres paroissiaux de Thonon des XVIIe et XVIIIe siècle. Pierre-Louis-Marie de Vignet (1733- an V), habitait Chambéry depuis son enfance. Il épouse le 18 octobre 1778 Marie-Christine de Maistre, sœur de Joseph et Xavier de Maistre (dont on peut admirer la statue au pied du château de Chambéry). Deux fils naissent de cette union : François-Xavier et Louis, l’ami d’Alphonse de Lamartine.
François-Xavier, né à Chambéry le 3 avril 1780, le propriétaire du château, épouse en 1818 Hélène Césarine de Lamartine, la sœur du poète. Sénateur, il reçoit le titre de Comte pour lui et pour ses descendants « pour les distingués services rendus, pour la capacité et l’attention qu’il apporta pour l’heureux dénouement des intérêts engagés avec le canton de Genève, pour la noblesse de sa famille, pour les preuves constantes de dévouement dans l’exercice des charges confiées à ses prédécesseurs par les rois de Sardaigne. » en 1818.
Son frère Louis, nommé Baron en 1821, va choisir la carrière diplomatique qui l’entraînera hors de Savoie, en France, en Grande Bretagne, en Belgique et en Italie. Il meurt du choléra à Naples en 1837. Louis de Vignet et Alphonse sont amis de longue date : ils se sont connus adolescents au collège des Jésuites à Belley. Louis l’accueillera plusieurs fois au château jusqu’à la mort de Césarine en 1824, emportée à 24 ans par la tuberculose. A partir de cette date, lors de ses voyages en Savoie, Lamartine loge à Aix-les-Bains. Malgré tout le poète garde un souvenir ému de Servolex où il a vécu des moments intenses.
C’est François-Xavier de Vignet qui a complètement transformé le château et qui lui a donné son aspect actuel. Le bâtiment comporte un corps de logis encadré par quatre tourelles rondes à trois niveaux. Sur la façade, une grande galerie portée par quatre colonnes et deux avant-corps s’élève sur deux niveaux pour former une agréable terrasse au dernier étage. Les quatre colonnes qui décorent la façade à la manière des villas romaines proviennent de l’ancienne église de Servolex, elles ont été sauvées lors de sa démolition en 1795. A la mort de François-Xavier en 1844, le domaine est alors estimé à 120 000 livres neuves. Le château revient alors à son fils, le comte Nicolas-Aymon-Marie-Xavier né en 1819. Il loue au Pensionnat des Frères, pour les années 1863 à 1871 des terres à Servolex pour expérimenter des plantations de tabac. Mais il meurt le 10 février 1871 « dans les neiges du Jura » selon le Frère Agisbaud, des suites de la guerre à Neuchâtel (Suisse ).
La fille de François-Xavier de Vignet et sœur de Nicolas-Aymon-Marie-Xavier, Alix (1828-1907) épouse en 1844, le Baron Eugène de Morand de Montfort et de St Sulpice. Ses parents, ruinés par la tourmente révolutionnaire, avaient trouvé refuge au château de Servolex. Eugène y meurt le 25 septembre 1879. Devenue veuve, sa femme, la Baronne de Morand de Montfort, dame du palais de la reine de Sardaigne, doit vendre le château. C’est un agent de change de Saint Etienne, Monsieur Gonon qui l’achète en 1882. Il ne le gardera que huit ans. En 1890, Mr Gonon le cède au Comte Léonide Marin (1819-1899). Issu d’une ancienne noblesse de robe, Léonide Marin, célibataire, possède de nombreux biens tous acquis de son père. Rappelez-vous, nous avons dit au début de cet article que deux grandes familles se partageaient les terres de Servolex : les Vissot et les Perrier. La famille Perrier a construit parcelle par parcelle la propriété du Comte Marin et son achat n’a fait que l’agrandir !
En 1895, ce sont des commerçants, les Barral, soyeux à Lyon qui occupent le château. Mr Joseph Barral s’implique dans la rénovation de l’église de la Motte-Servolex. Le curé Jacquier, nommé en 1909 archiprêtre à la Motte, se bat pour que l’église, qui est en piteux état, soit restaurée. Il trouve auprès de Mr Barral réconfort et subsides. Les travaux sont inaugurés en grande pompe en 1913, par le cardinal Dubillard. Une plaque, au nom de la famille Barral, est apposée sous le porche d’entrée de l’église St Jean-Baptiste, en remerciement de sa générosité. Le curé Jacquier (1861-1948) quitte le presbytère de la Motte en 1944 pour le château de Servolex. Il y passera ses dernières années, accompagné par les attentions et les soins de Mme Rousseau, fille de Mr Barral. C’est en mars 1948 que l ‘abbé Jacquier « le curé de tous » âgé de 87 ans y meurt.
Au décès de Mme Rousseau, le château est vendu à un particulier Mr Pierre Gaillard, veuf… Il décède en juillet 2009 à Chambéry.
Le château est alors racheté par une société d’investissement, qui entreprend des restaurations importantes pour lui redonner son lustre d’antan.
Le château accueille toutes sortes de manifestations :fêtes de famille, expositions, séminaires…
Dans l’immense parc, un grand parking a trouvé place dès le passage de la grille. Les arbres malades ont été abattus, mais il reste encore près du château des essences rares telles un araucaria et un ginkgo biloba.
Le bâtiment a repris fière allure grâce aux entreprises régionales qui se sont attelées à la tâche.
Plongeons-nous encore une fois dans les « confidences » de Lamartine qui écrit :
« Je vivrais un siècle que je n’oublierais jamais les journées […] que nous passions pendant tout un été […] dans le petit castel de Servolex chez mon ami Louis de Vignet. Le salon était plein champ. Tantôt un bois de jeunes sapins sur les dernières croupes vertes du mont du Chat[…]. Tantôt une allée de hautes charmilles au fond du jardin de Servolex, allée élevée en terrasses sur un vallon noyé de feuillages et de hautes vignes entrelacées aux noyers…»
La demeure de Servolex est prête pour écrire une nouvelle page de son histoire au XXIe siècle.